
Précisions sur les limites du droit du revendeur de produits authentiques
Arrêt Fruit of the Loom : précisions sur les limites du droit du revendeur de produits authentiques
Dans une affaire opposant la société de droit américain « Fruit of the Loom », titulaire de marques éponymes assez connues pour les produits de la classe 25 (vêtements) et en particulier les t-shirts et sweat-shirts, à la société Tanit, revendeur de produits authentiques, la Cour d’appel de Paris (Pôle V – Chambre 2) a rendu un arrêt en date du 17 mars 2023 condamnant le revendeur précité sur le fondement de la contrefaçon de marques et de la concurrence déloyale.
Cet arrêt est intéressant car il rappelle et précise des notions importantes :
- Sur l’épuisement du droit et sur les droits du revendeur de produits authentiques
Fruit of the Loom reprochait à la société Tanit d’avoir déposé et d’exploiter de nombreux noms de domaines comportant le signe « Fruit of the Loom » (par exemple « fruit-of-the-loom.fr ») protégé par plusieurs marques françaises et européennes appartenant à Fruit of the Loom, sans son autorisation.
Tanit se défendait notamment en invoquant l’épuisement du droit. Tanit indiquait qu’elle bénéficiait d’une sorte de licence tacite (sic) l’autorisant à utiliser la marque « Fruit of the Loom » à titre de nom de domaine, dans la mesure où elle revendait des produits authentiques, c’est-à-dire licitement revêtus de la marque du titulaire et commercialisés pour la première fois dans l’Union Européenne par le titulaire ou avec son consentement.
Il s’agit d’une vision trop extensive de la règle d’épuisement du droit (article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle). En effet, s’il est licite de revendre des produits authentiques sur le territoire de l’Union Européenne quand ceux-ci ont été mis sur le marché par le titulaire ou avec son consentement, cela n’autorise pas pour autant le revendeur à utiliser la marque comme bon lui semble.
Certes, en principe, le revendeur de produits authentiques dispose du droit d’annoncer cette vente car le droit de promouvoir est en quelque sorte l’accessoire du droit de vendre (par exemple, CJUE, 4 novembre 1997, Dior / Evora, C-337/95).
Cependant, la réservation et l’usage d’un nom de domaine comportant la marque va bien au-delà d’une simple annonce. A l’instar de l’exploitation d’une enseigne dans le monde réel, la réservation et l’exploitation du nom de domaine correspond à un usage de la marque dans la vie des affaires, distinct du droit de vendre, qui relève nécessairement du monopole du titulaire.
Tanit est donc condamnée pour contrefaçon du fait de l’exploitation des noms de domaines reproduisant la marque « Fruit of the Loom » et la Cour ordonne qu’elle procède aux formalités de transfert, à ses frais.
- Sur l’exploitation du nom de domaine reproduisant une marque protégée
Il était prouvé par Fruit of the Loom que la plupart des noms de domaine reproduisant la marque « Fruit of the Loom » étaient exploitée par Tanit car ils redirigeaient vers une boutique de vente en ligne de t-shirts personnalisables.
Il est intéressant de noter que la Cour accepte de prendre en considération, à ce titre, des extraits du site « Archive.org », alors que jusqu’alors la jurisprudence nationale y étaient réticente. Cette remarque est cependant à tempérer car il semble que l’appelante avait reconnue l’exploitation de ces noms de domaine dans ses écritures de première instance. Il est cependant probable que la jurisprudence évolue sur ce point et finisse par admettre (à l’instar de l’Office européen des brevets par exemple) la force probante de constats portant sur les pages du site Archive.org.
Pour d’autres noms de domaine, l’exploitation par Tanit n’était pas caractérisée, de sorte que seule la réservation desdits noms était reprochée. Logiquement, la Cour rappelle une jurisprudence établie selon laquelle la seule réservation du nom de domaine, bien qu’il reproduise la marque, ne constitue pas un acte d’usage dans la vie des affaires et n’est donc pas constitutive de contrefaçon. Il s’agit d’une solution identique à celle retenue en matière de dépôt de marque (Cass. Com., 13 octobre 2021).
Certains noms de domaines, réservés par Tanit, pour lesquelles aucune exploitation n’était démontrée, échappent donc à la condamnation.
Pour finir, on peut regretter la faiblesse de l’indemnisation que Tanit a été condamnée à payer au titulaire des droits :
– 20.000 euros en réparation des actes de contrefaçon
– 10.000 euros sur le fondement de la concurrence déloyale
– 10.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel.
Il semble que 15 noms de domaines contrefaisants avaient été réservés par le contrefacteur, dont certains, y compris fruit-of-the-loom.fr étaient exploités depuis 2010, privant ainsi le titulaire légitime de la possibilité de les réserver et de les exploiter. Il en a nécessairement résulté une captation illicite de clientèle pour le titulaire ainsi qu’une atteinte à son image de marque extrêmement importante voire irréparable. Il est à craindre que ce manque de générosité ne décourage plus encore les titulaires de défendre leurs droits et titres devant les juridictions françaises.
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