La Juridiction Unifiée du Brevet (JUB) et le Brevet Unitaire (BU)
Le projet de la JUB date de la mise en place de l’Office Européen des Brevets (OEB), dans les années 1970. Le 19 janvier, après une dernière longue période d’attente liée à la sortie effective du Royaume-Uni de l’Union Européenne (UE), la phase ultime de création de la JUB a commencé pour une entrée en service effective prévue normalement fin 2022. L’UE va enfin pouvoir se doter d’un système de justice unique au monde, tant par la qualité de ses décisions que par leur rapidité, pour le règlement des contentieux brevets en Europe.
L’UE représente un marché de 450 millions d’Européens, à comparer en particulier au 330 millions d’Américains ou encore au 1,5 milliard du marché chinois ou encore indiens. À l’heure actuelle, le titulaire d’un brevet européen doit agir devant toutes les juridictions nationales, ce qui représente autant de coûts de procédure, d’incertitudes judiciaires et de délais. Bien que le droit de l’UE prévoie des dispositions pour appliquer dans un autre pays de l’UE une décision judiciaire concernant une affaire similaire, de façon pratique, pour faire cesser une contrefaçon de brevet en Europe et obtenir des dommages et intérêts, il faut agir devant toutes les juridictions nationales concernées. Au niveau mondial, le système judiciaire européen actuel n’est pas compétitif en particulier, car trop complexe et trop couteux rapporté à sa population ou son marché.
La création de la JUB vise ainsi deux objectifs principaux : permettre une résolution du contentieux brevet dans un délai d’un an et offrir une uniformité dans la résolution de ces contentieux au travers d’une procédure unique et d’une jurisprudence de qualité (respectivement Articles 7 et 10 du préambule).
Ainsi, les juges sélectionnés pour former les tribunaux et la Cour d’Appel seront ceux présentant l’expérience la plus grande. À côté de ces juges sera généralement présent au moins un juge technique, présentant une qualification technique ainsi qu’une bonne expérience du système légal (procédure civile d’au moins un état de l’UE) et en particulier du contentieux brevet. À la différence du système américain, aucun jury n’est envisagé et compte tenu de la spécialisation des juges, la qualité des décisions devrait être garantie dès la première instance.
De prime abord, la structure de la JUB peut sembler complexe, mais résulte, comme toujours en matière européenne, de compromis politiques et d’arbitrages économiques.
En première instance, la JUB comprend tout d’abord une pluralité de tribunaux dont au moins un dans chaque état de l’UE qui le souhaite. À côté de ces tribunaux dits locaux, la structure de première instance comprend une division centrale dont le siège sera à Paris, divisée en trois juridictions spécifiques par domaine technique : une section couvrant toutes les techniques d’ingénierie à Munich, une section pour la chimie-pharmacie ainsi que les nécessites courantes de la vie précédemment prévue à Londres et relocalisée vraisemblablement à Paris avant de rejoindre Milan ou Amsterdam et enfin une dernière section rassemblant tous les autres domaines techniques, également située à Paris. Les tribunaux locaux et la division centrale forment un ensemble unique constituant la juridiction de première instance de la JUB qui sera dirigée par un juge français.
La Cour d’Appel sera quant à elle localisée au Luxembourg et comportera cinq juges dont deux juges techniques.
De façon pratique, les langues utilisées devant la JUB seront les mêmes que celles utilisées à l’OEB, à savoir de manière prépondérante l’anglais, puis l’allemand et enfin le français.
Outre les deux niveaux d’instances judiciaires, la JUB comprendra un centre de médiation et d’arbitrage, respectivement situé en Slovénie et au Portugal, afin d’autoriser et de promouvoir les résolutions alternatives de conflits, en responsabilité délictuelle ou contractuelle.
Les titres brevets soumis à la JUB seront d’une part le nouveau BU qui forme pour la première fois au monde un brevet valable sur un territoire regroupant plusieurs États, d’où son appellation de brevet unitaire (BU), et d’autre part l’actuel brevet européen. Pour ce dernier, les titulaires auront la possibilité de refuser la compétence de la JUB pour une première durée de 7 ans, renouvelable une fois. Tant pour le BU que le brevet européen, la validité du titre de propriété intellectuelle est réglée par la Convention sur le Brevet Européen, l’OEB étant l’office brevet qui assurera l’examen et la délivrance du BU.
Sur les 27 pays de l’UE, à l’entrée en vigueur de la JUB et du BU à la fin de cette année 2022, seuls devraient manquer à l’appel la Croatie, la Pologne et l’Espagne, pour des raisons essentiellement politiques, bien entendu susceptibles d’évoluer dans le futur.
Ainsi, environ 400 millions d’européens vont se doter d’un outil judiciaire unique au monde autant par la qualité que la rapidité de ces décisions. Nul doute que l’outil stratégique brevet, et par ricochet l’importance des innovations techniques, va s’en trouver renforcer pour les entreprises.
De ce point de vue, il est important de rappeler que ce sont avant tout les PME / PMI qui doivent protéger leurs innovations, car le brevet est le seul moyen de se prémunir contre la copie, le pillage des idées techniques, et ainsi de préserver son avance technologique et ses marges contre des concurrents mieux armés financièrement, industriellement et/ou commercialement.
Pablo GAVIN
Avocat au Barreau – Mandataire agréé près l’Office Européen des Brevets
Attorney at Law – European Patent Attorney
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